Tory Sayer ❁ ❝ Le printemps est inexorable ❞ - Neruda

Je me souviens du froid et de la solitude. Pourquoi étais-je née ? Avait-on un jour voulu de moi ? Je me rappelle mettre posé cette question sans arrêt, grelottante de froid. Si paradoxalement, j'étais heureuse d'avoir survécu à l'hiver dans la rue, je regrettais qu'il ne m'ait pas achevé. Ma vie était ainsi : à l'âge de 5 ans, sans souvenir, je vivais dans la rue. Est-ce que j'étais née sous X ? Mes parents étaient-ils toujours en vie ? Pourquoi étais-je là ? Pourquoi ! Personne n'a jamais répondu à l'orpheline que j'étais, même lorsque je hurlais à ma colère à a lune. J'avais 5 ans, je vivais seule, à la rue, dans un quartier mal famé en périphérie de Rome. Quelques semaines plus tard, les services de l'aide à l'enfance m'ont trouvé, cachée derrière une poubelle. La suite fut un enchaînement logique ... Des questions auxquelles je n'avais pas de réponses puis un orphelinat. C'était une amélioration certes mais à quoi bon ? Qui voudrait d'une enfant qui ne sait ni lire ni écrire à 5 ans ? D'une petite fille qui n'arrive pas à s'exprimer, sa voix étant bloquée à l'intérieur de son petit corps martyrisé.



Cela faisait presque 10 ans que j'avais été adoptée par les Sayer. En effet, un peu moins d'un an après mon arrivée à l'orphelinat, le couple irlandais avait décidé de m'offrir une nouvelle chance dans la vie. Je me souviens que je n'ai jamais trop compris pourquoi c'est moi qu'ils ont choisi ... Pourquoi la petite rouquine quasi muette ? Toujours est-il que c'est ainsi que j'ai quitté Rome pour l'Irlande du Nord. Un grand dépaysement pour moi mais pourtant, ma nouvelle maman trouvait ça très drôle que mon physique me permette à ce point de me fondre dans le décor. Progressivement la parole m'est venue et je n'ai gardé que peu de trace de mon passé si ce n'est une peur classique de l'abandon.
J'ai choisi l'italien comme langue vivante dans l'espoir de pouvoir un jour retourner là où je suis née et en apprendre plus sur mes origines. Car, même si les Sayer ont toujours fait de leur mieux, certains signes ne trompent pas : comment puis-je avoir la main si verte quand ni l'un ni l'autre n'est capable de faire survivre une plante plus d'une semaine ...? Un véritable mystère ! C'est au cours du printemps 2004, alors que je n'avais tout juste que 15 ans que j'ai compris pourquoi : un flash back, une femme superbe m'appelant Perséphone ... Mon premier réflexe a été de croire qu'il s'agissait d'un souvenir enfoui de ma petite enfance. Déséquilibrée par ma vision, je me souviens être tombée en avant : à l'instant où le bout de mes doigts a touché le sol, un coquelicot a fleuri du sol. C'était la première fois que je me rendais compte que je n'avais pas simplement la main verte mais un véritable don.



A 20 ans, ma vie se résume à des doutes, encore et toujours. Qui suis-je vraiment ? Pourquoi est-ce que je rêve d'une déesse grecque ? Cela n'a aucun sens ! Des flash back me reviennent aussi bien quand je suis éveillée que lorsque je dors. Cela me parait impossible qu'il s'agisse là de mes souvenirs : la réincarnation ce n'est qu'un mythe ... N'est-ce pas ? Aussi, je me renseigne, je lis beaucoup de documents, allant même jusqu'à apprendre le grec ancien afin de pouvoir me cultiver sur le sujet. Si je ne deviens pas une experte du panthéon grec, je connais presque son histoire sur le bout des doigts, les dieux et les rivalités intestines, l'amour maudit de Perséphone et Hadès. Cependant, ce ne peut pas être moi ... Je ne peux pas être cette Perséphone là ! Après tout, je n'ai rien d'une déesse du printemps et encore moins d'une Reine des Enfers.
En parallèle, j'obtiens un diplôme de fleuriste et ouvre ma boutique de fleur. Si ma créativité me permet de faire des jolis bouquets reconnus à Belfast, mon don est une aide précieuse.



Je me suis fait une raison. Au vu des nombreux souvenirs qui me reviennent progressivement, j'ai fini par admettre que je suis Perséphone, même s'il m'arrive parfois de parler de moi à la troisième personne du singulier. Tout concorde : aussi extraordinaire que cela puisse paraître, il semble que j'ai vécu de nombreuses vies antérieurs avant de naître, il y a de ça environ 30 ans. Me voilà déesse grecque du printemps, sortons le champagne !
Encore une fois, je me demande pourquoi moi : pourquoi le destin a-t-il choisi que la réincarnation d'une divinité ait un début de vie aussi chaotique ? Plus déterminée que jamais, je décide de tout abandonner, famille, amis et boulot, pour partir à la recherche d'informations sur mes origines. Élucider le pourquoi du comment est désormais mon objectif. Sans réfléchir ni préparation, j'embarque sur un vol en partance pour Rome où j'ouvre une nouvelle boutique de fleurs.
Une autre question, cependant me perturbe : pourquoi n'ai-je aucun souvenir de Hadès ? Ne suis-je pas censée être sa femme, sa bien-aimée, celle pour qui il aurait laissé mourir la terre des hommes ? Il est pourtant absent de toutes les traces mnésiques concernant mes vies antérieur. Ne suis-je pas assez bien pour lui ? Pour être aimé de lui ? Si ce mystère me chagrine, je sais qu'en réalité je suis plutôt satisfaite de la situation : déesse grecque ou pas, il est hors de question que j'épouse un inconnu qu'il soit supposé être mon mari ou non !