Vis ! (Jules)

Tu es le soleil.
Tu es pourtant venue au monde dans la difficulté d’une nuit de mars glacée. Née sous X, d’une mère toxicomane, tu n’as pas été nommée, tu n’as pas été désirée. Tu es née dans le froid d’aucun amour et d'aucune attente. Si tu t’appelles comme tu t’appelles c’est parce que le service de la maternité du quartier a pris soin de toi. Jules. Le choix de la gynécologue-obstétricienne. Esméralda. Celui des infirmières de garde.

Tu ris toujours.
Les premiers jours, premières semaines de vie ont été particulièrement difficile. Quand on vient au monde en ayant consommé des drogues depuis 9 mois, via le placenta qui relie la mère à l’enfant, on est accro. Comme les autres enfants dans cette situation, tu as subi un syndrome de sevrage néo-natal particulièrement difficile.
Quand tu as rencontré les infirmières qui ont veillée sur toi, tu as vu dans leurs yeux qu’elles se souvenaient que de ce bébé qui hurlait et tremblait sans fin. Qui souffrait. Qui ne pouvait même pas appeler à l’aide. Et que même en te regardant dans ton corps d’adulte, elles étaient marquées à vie par ce bébé en souffrance.

Tu es toujours entourée.
Quand le temps est venu, tu as quitté la maternité. Tu as été passée par une première famille d’accueil, qui pensait vouloir t’adopter sur le long terme. Tu as pourtant fait leur malheur. Contrairement aux autres bambins qui apprennent à babiller et marcher, toi tu pleurais. Tu pleurais jours et nuits. Le contact te paniquait. Et avec cela sont arrivées les infections bactériennes. Gorge, puis nez. Poumon, re-gorge. Oreille, encore et encore.
Ils ont fini par appeler au secours les aides sociales du pays, ne pouvant plus s’occuper correctement de toi. Tu as été retirée de la famille pour être soignée et stabilisée. Tu avais 18 mois, et à nouveau, tu te retrouvais seule dans une chambre d’hôpital.

Tu croques la vie, un sourire sur les lèvres.
La maladie a été mise en lumière après avoir été grattée du côté des données que l’on avait pu savoir de ta mère. Un déficit immunitaire, mélangé à une drogue quotidienne, et tu étais née avec un souci pour te protéger des maladies. Et pendant que les gamins de ton âge grandissaient et apprenaient à faire du vélo, tu étais malade. Quand ils allaient au parc d’attractions, tu recevais tes premiers traitements. Quand il fêtait leur 7ême anniversaire dans une fête bruyante du quartier, on t’intubait pour une surinfection pulmonaire aggravée.

Tu as fini par refuser de mourir.
L’adoption est venue, bien plus tardive qu’on ne l’avait espéré. C’est un couple sans enfant, sans possibilité d’en avoir un, qui a décidé de te prendre sous leur toit, malgré ta santé en dent de scie. Tu avais 9 ans, et tu commençais enfin une vie familiale comme les autres.
Tes parents d’adoption se révélèrent être exactement ce que tu avais besoin pour te guider. Proches, mais pas trop. Dans le respect de ta volonté à ne pas être touchée, ils étaient à la fois doux et sévères, conscients de ton état sans s’apitoyer dessus, ils te poussèrent à vivre !

Tu tombes, lentement mais sûrement.
Avec les années, tu as compris ce que ta maladie voulait dire. Tu as compris d’où elle venait et ce qu’il fallait faire pour que tout se passe bien. Et avec tout ce savoir engrangé, tu as pu avancer, grandir et t’ouvrir au monde.
Tes parents adoptèrent un deuxième enfant, t’offrant une petite soeur en plus d’une amie sincère. Tu réussis à enchaîner deux années de collèges sans retour vers une hospitalisation. Et à chaque défi gagné, tu devins un peu plus solaire, un peu moins malade… dans ta tête tout du moins.

Et un jour, tu mourras.
Parvenue à l’âge adulte, tu es devenue une jolie femme pleine de vie. Une bouée de sauvetage pour bien des individus qui ne savaient pas ce que tu étais toi-même. Tu pousses les gens à vivre et à profiter de la vie, et toi-même tu fais ça, chaque jour. C’est pour cela que tu as arrêté tes études après le lycée. Pour profiter ! Tu prévoyais de prendre une année sabbatique pour visiter le monde avant de devenir infirmières ou médecins ! Tu voulais rajouter de nouvelles couleurs et saveurs à ton musée interne ! Tu resplendissais d’espoir !
Et il y a eu cette rechute. Les bronchites et les otites faisaient partie de ton quotidien, tu savais les gérer. Mais cette fois-ci, l’infection avait été silencieuse. Oubliant de t’inquiéter de la fatigue qui stagnait en toi et de ta température un peu élevée, tu n’as pas vu le mur arriver. Une détresse respiratoire, sur une attraction à sensations. La panique des gens. Plus d’air. Les ambulances. Le noir et la sensation de se noyer.

Les médecins ont dû te réanimer, quand tu es arrivée aux urgences. Tu es morte de 16h56 à 16h59. 3 minutes qui t’ont fait comprendre que tu étais malade, que tu le veuilles ou non…

Petit plus :
☆ Naissance sous X, elle ne connaît donc pas sa mère et son père ainsi que la famille de sa mère n’ont jamais chercher à la trouver.
☆ Elle porte le nom de famille que la justice lui a donnée. Et n’a pas pris celui de sa famille d’adoption, c’était une volonté partagée entre elle et ses parents d’adoption.
☆ Elle est atteinte d’un DICV : Déficit immunitaire commun variable, qui entraîne la baisse de ses défenses immunitaires et donc de nombreuses infections bactériennes et virales. On la soigne par injection d’immunoglobulines (IG), et une surveillance accrut de symptôme de maladie. De même, elle doit faire attention à ce qu’elle fait, où, comment.
☆ Elle avait 21 ans quand elle a été réanimée. Depuis les médecins, commence à parler de greffes de cellules-souches pour tenter de soigner sa déficience immunitaire.
☆ Devant se tenir loin des milieux à risque, elle a vu ses espoirs d’être médecin/infirmière lui glisser entre les mains. Pour subvenir à ses besoins, elle enchaîne des petits jobs : garde d’enfant, pet sitting, courses pour des personnes âgées, mise en rayon, et plus récemment, elle est à l’essai en tant que serveuse dans un bar de la ville.